Énergie réciproque, Bénédicte Ramade
MacVal
La voiture tourne, sans arrêt. Entre modélisation et mauvais film, la scène se répète sur ce parking désert. Le conducteur a disparu, dissous par la fumée qui a envahi l’habitacle. La ritournelle visuelle de Transestérification (2008) se transforme progressivement en mantra sordide, et la façon que certains ont de tuer le temps un dimanche en « zonant » sur une aire de stationnement désertée fait désormais froid dans le dos. Comme le plus souvent chez cet artiste canadien, ses propositions mettent en scène des boucles courtes et des machines célibataires, un comique de situation qui, à force de répétition, finit dans une obsession sombre. Interpénétration profonde (2008) possède ces qualités. Dans un doux ballet in vitro, une membrane de caoutchouc démontre le principe des vases communicants en passant de part et d’autre d’une séparation. Aspiré, expulsé, retourné comme un gant, le long étui exerce son mouvement pulsatile avec une grâce désuète et un peu pathétique. Cette dépressurisation priapique et démonstrative doit son souffle vital à un frigo dont la pompe a été dépouillée de son action réfrigérante pour n’être plus qu’un simple respirateur. Une question d’alimentation qui nous renvoie à la vidéo Transestérification (2008). Derrière ce titre obscur, se cache le principe technique pour transformer de la graisse humaine en carburant bio. Dans un scénario digne de Brazil de Terry Gilliam, on peut dans l’absolu obtenir un « anthropo-diesel » en séparant le gras de l’eau puis en l’ajoutant après traitement de l’alcool et la soude. Simple comme bonjour, la voiture a tout bonnement métabolisé son conducteur, miam ! Le principe fait froid dans le dos. D’autant que Michel de Broin ne fait qu’instrumentaliser une réalité, celle du grossissement de la population des pays industrialisés, de leur usage de la liposuccion, le tout aromatisé par la crise pétrolière. La solution était sous notre nez. Extrapolée par l’artiste, elle devient station de pompage et station à essence en une seule maquette. Pas très politiquement correct tout cela, mais cet artiste a l’habitude. Lorsqu’il bricole son vélo (Keep on smoking), c’est pour que celui-ci se mette à produire un panache blanchâtre, matérialisation de son énergie déployée partant en fumée. Dans Shared Propulsion Car, le covoiturage devenait une punition collective visant à faire se déplacer la carcasse d’une Buick en milieu urbain. De telles alternatives à la crise pétrolière ont un goût amer. L’éco-amitié dont fait preuve Michel de Broin n’est résolument pas orthodoxe mais sent le cannibalisme à plein nez, loin d’une morale verte bienveillante. S’il n’a pas l’âme d’un militant, c’est que cet artiste aime plutôt parasiter et générer du potentiel. Il convient de rester sur ses gardes.